Prologue du roman Retiens-moi, le deuxième tome de la duologie les chaînes du passé.
La sortie étant prévu pour mi-2024, je t’offre un extrait pour t’aider à patienter.
Bonne lecture
— Cela fait quelques mois que nous nous voyons, Clara. J’ai l’impression qu’il y a encore tellement de questions sans réponses. Pourquoi est-ce si difficile pour vous de vous ouvrir ?
Je ne réponds pas immédiatement à la personne en blouse blanche devant moi. Je la connais pourtant bien. Enfin, comme l’on connait son psychologue. A force d’éviter les réponses, on observe. Elle avait déjà ces boucles d’oreilles bleues lors de notre dernière entrevue. Elle a approfondi son maquillage depuis quelques séances. Elle a refait sa couleur pour masquer ses cheveux blancs qui commençaient apparaitre aux racines. C’est la première fois que je lui vois ce pull sous sa blouse de travail.
— J’ai consulté mon ancienne boite mail suite à notre conversation de la dernière fois.
— Vous y avez jeté un œil finalement. Et ? Vous avez pu écrire la lettre que je vous avais recommandée ?
Je hoche négativement la tête. Je n’ai pas pu. Je devais écrire à Sarah. Lui dévoiler un peu de moi, ce qu’elle ne sait pas. Détricoter les mensonges un par un pour lui laisser entrevoir la vérité sur ma personne. Sauf que je me suis retrouvée face aux messages reçus et non consultés depuis des mois. Il y en a des centaines. Des milliers même qui se sont entassés en un an. La magie des boites mail. On continue de recevoir jusqu’à ce que la zone de stockage soit pleine. Les mails n’occupant pas grand place, ils ont ainsi continué d’affluer. Le nom de David est encore figé sur mes rétines le temps que je remonte le fil des messages sans les lire. Je ne veux pas les lire. Très insistant allant de plusieurs fois par jour au début de notre séparation, à ce dernier email il y a quelques semaines où il m’écrit être passé à autre chose. Enfin, je l’imagine. Car je ne l’ai pas lu non plus. Mais l’objet du mail était sans équivoque : « au revoir, Clara ».
Face à son silence, je devine que ma psy souhaite en savoir plus. Mais je l’ignore et embraye sur un autre sujet tout aussi brûlant :
— Je vais devoir retourner à Rouen pour quelques mois.
— Pour le travail ? Votre contrat chez Citasport était seulement en pause, c’est ça ?
— Mon chef m’a en effet rappelé qu’il comptait sur mon retour début août. J’étais prête à rompre le contrat une bonne fois pour toute, mais visiblement Rouen m’appelle. Mamina m’a demandé d’accompagner Quentin dans sa première année de fac. Il a décidé de partir étudier à l’université de Rouen car leur association qui aide les étudiants handicapés est top.
— Ah, c’est une très bonne nouvelle, se réjouit Céline.
Je vois que ma psy partage le même enthousiasme que Mamina. Si elles aiment tant cette ville, qu’elles y aillent et me laissent tranquille. Et puis franchement, il n’y a pas assez de bonnes facs à Paris pour Quentin ? Dire que j’étais en colère est un euphémisme. Je ne suis pas prête à revenir dans la capitale normande, une ville que j’ai somme toute aimée, même si elle a fait ressortir les vieux démons en moi. Mais j’ai fini par me faire une raison. C’est la meilleure des solutions financièrement après cette année compliquée et parce que je ne peux pas laisser Quentin livré à lui-même. Je suis responsable de lui et c’est hors de question qu’il lui arrive quoique ce soit sous prétexte que je ne veux pas retourner dans la ville où j’ai connu le bonheur. Je renifle de dédain, mais mon interlocutrice n’est pas dupe.
— Non ?
Je commence à connaître sa manière de fonctionner. Elle veut que j’argumente, que je conteste son affirmation pour mieux aller dans les détails de mes pensées et qu’elle puisse me lire comme un livre ouvert.
— Quelle est la probabilité pour que je ne revois pas Sarah et toute la bande d’amis que j’ai quittée ?
La réponse est évidemment rhétorique. J’appréhende le retour de bâton. J’ai été lâche et je les ai tous abandonnés. Mon mec, mes potes, ma meilleure amie. Je vais forcément retrouver tous ces gens que j’ai quittés abruptement. Surtout que j’ai repris contact avec Sarah ces derniers mois, infoutue que j’ai été de couper définitivement les ponts avec elle. Elle est trop importante pour moi. Et je ne vois pas comment je peux la côtoyer à nouveau sans revoir le reste de la bande.
— Et une personne en particulier dans cette bande, je me trompe ?
Rien ne sert de me leurrer. Ni le temps, ni la distance ne m’ont permis de l’oublier. Comment ne pas vouloir le revoir… Est-ce parce que j’ai envie de me faire du mal ? De me remémorer les bons moments ? De le voir avec une autre pour me convaincre qu’il est passé à autre chose, et que mon cœur peut enfin le laisser tranquille ? Peut-être suis-je réellement sadique après tout ? Ou folle ? Mais ça, on le sait déjà.
— Quels sont vos sentiments pour David ?
David… Ce sujet revient en boucle depuis des mois. J’ai essayé de masquer son existence au début de notre collaboration. Mais j’ai affaire à une pro. Il ne lui a fallu que quelques séances pour comprendre qu’un homme avait réussi à aller suffisamment profond dans mon cœur pour y laisser sa trace.
— Je l’ai quitté.
— Ce n’est pas ce que je vous demande.
— Je suis partie sans lui dire au revoir. Comme une fugitive.
— Pourquoi ?
On en revient toujours à cette question. Pourquoi ? Elle sait pourquoi. Elle sait ce qu’il s’est passé. Elle sait tout ce qu’il s’est passé dans ma putain de minable vie. Et pourtant, la question revient.
Pourquoi ?
J’ai encore envie d’éviter le sujet. Je sais bien que cela ne sert plus à rien. Et Céline le sait aussi. Et pourtant. Je veux tenter une dernière entourloupe. Je veux esquiver le sujet une dernière fois.
— Vous le savez.
— Non, je ne le sais pas. Pourquoi êtes-vous partie sans le lui dire en face, Clara ?
Il est temps. Je crois que je dois arrêter de me voiler la face. Je baisse la tête et ma voix ressemble à un simple murmure inaudible.
— Je crois… Je…
Les mots sont là. Sur ma langue. Ils me brûlent l’œsophage depuis des semaines et cette brûlure est maintenant dans ma bouche. Mon cœur est en miette et le temps passé n’y a rien fait. J’attends qu’une sonnerie retentisse. Qu’un autre docteur nous interrompe pour une urgence dans l’aile des fous, celle que je traverse pour venir ici. Mais rien ne vient s’immiscer entre le docteur et la vérité. Entre mon cerveau et la vérité. Les mots finissent par sortir :
— Je pense que je n’aurais jamais pu le quitter.
Je hoquette de surprise. Cette phrase était au bord de ma conscience depuis si longtemps. Et pourtant encore cachée jusqu’à ce qu’elle ne soit révélée à voix haute. J’ai l’impression d’avoir énoncé un secret d’état. La gêne de m’être mise à nu me fait rougir. Les larmes me guettent, mais je les refoule comme je peux, comme j’ai toujours appris à le faire. Il me faut quelques minutes pour que ma respiration redevienne normale.
Je reprends conscience de mon environnement. Cette salle aseptisée malgré les quelques touches de couleur qui lui ont été donnée pour limiter l’effet « hôpital ». Et pourtant, les patients présents ne sont pas dupes. Ils savent où ils mettent les pieds. Mais quelque chose m’interpelle. Je réalise que seul le silence me répond. Dans ce lieu toujours bruyant. Comme si le monde s’était arrêté de tourner après cette révélation énoncée à haute voix. Je fronce des sourcils, interrogative. Au-delà des voix murmurées ou hurlées derrière les murs de cette pièce, ma psy a toujours quelque chose à répondre. Pour me pousser à aller toujours plus loin dans mon moi intérieur. Pour appréhender et détruire les murs que je ne manque pas d’ériger à nouveau pour la séance suivante.
Curieuse, je relève la tête. Son sourire m’atteint en pleine poire sans que je m’y attende. Je crois que c’est la première fois que je le vois réellement en presque six mois de collaboration. Il transforme totalement son visage et je ne sais que penser de celle qui me fait face. Une inconnue à qui j’ai quasiment tout livré. Mes folies. Mes névroses. Sans rien connaître d’elle en retour.
Elle patientait et attendait que je relève les yeux pour faire son effet.
Le sourire toujours aux lèvres, elle referme doucement son cahier devant elle. Celui qui m’est dédié. Il n’en reste que peu de pages vierges.
— Je crois qu’il est temps, Clara. Il est temps de retrouver ces gens à qui vous tenez profondément. Il est temps de leur montrer qui vous êtes vraiment.
Je hoche la tête. Un an que je repousse le moment. Un an que j’ai mis ma vie sur pause, que je travaille sur mes émotions détraquées.
— Vous allez encore me dire que c’est un signe.
— Je n’en ai pas besoin. Vous l’avez compris toute seule, me répond-elle dans un clin d’œil avant de se lever.
Elle se penche vers moi, pose sa main sur mon épaule et son visage se fait étonnement confiant :
— Bon retour à Rouen, Clara.
Retrouvez prochainement la suite…